Voilà un titre accrocheur, mais qui ne fait nullement écho à un quelconque lien possible entre la vaccination et cette maladie psychiatrique. Il vise plutôt à décrire l’état de double personnalité qui pourrait saisir tout individu visionnant l’épisode de Réseau d’enquêtes, intitulé « Vaccin, un trésor contesté », diffusé sur France 3 mardi 9 avril 2019 [1]. S’y succèdent des mini-reportages, sans doute avec l’intention louable d’illustrer la diversité des attitudes vis-à-vis des vaccins, qui se trouvent tantôt du côté de la science et de la raison, tantôt sur le terrain de la pseudo-science et de l’émotion.
Le présentateur, Charles-Henry Boudet, démarre ainsi l’émission : « Les Français, champions du monde de la défiance envers les vaccins ». Ce constat fait écho à la décision de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), cette année, de classer l’hésitation face à la vaccination parmi les dix plus grandes menaces pesant sur la santé de l’humanité [2]. On était alors en droit d’espérer qu’une émission du service public participe à sa façon à la dissipation de cette défiance.
Après un micro-trottoir apéritif, le spectateur a droit à un premier reportage à propos des dégâts du Gardasil, « un nouveau vaccin censé prévenir l’apparition du cancer du col de l’utérus ». Il est essentiellement consacré à Océane, une victime supposée du vaccin, dont la « vie a basculé à l’âge de 15 ans ». Séquence fatalement bouleversante, où sont évoqués la dégradation subite de l’état de santé d’Océane (« attaque cérébrale » et « paralysie de 80% de son corps », conséquence d’une « maladie auto-immune ») suite aux injections du vaccin, et le « long combat » d’un père qui « veut comprendre pourquoi il a failli perdre Océane ». Il sera le premier, en 2013, à porter plainte contre le laboratoire Sanofi qui commercialise en France le vaccin. L’affaire ayant été classée sans suite par le parquet de Paris, ce n’est qu’après une procédure engagée auprès du TGI de Dax qu’ « à ce jour, en France, Océane est la seule victime reconnue imputable au Gardasil ». C’est au tour des parents d’Adriana, « vaccinée en 2008, décédée en 2010 », d’enfoncer le clou de la dangerosité supposée du vaccin. L’on aurait apprécié que soit fait le distinguo entre corrélation temporelle et lien de causalité, ou que soit simplement évoqué le communiqué de l’Académie Nationale de médecine qui concluait, un an après les problèmes de santé d’Océane : « Il n’y a pas de différence des taux d’incidence des maladies auto-immunes étudiées entre les groupes des vaccinées et des non-vaccinées » [3].
« A ce jour, on dénombre plus de 400 décès en Europe, 400 aussi aux États-Unis après une vaccination au Gardasil. Des chiffres effrayants tout comme celui du nombre de victimes d’effets secondaires graves, près de 30.000 dans le monde ». D’où viennent ces chiffres alors qu’en 2017, l’OMS n’avait toujours pas observé d’effet indésirable grave lié au vaccin [4] ? La voix off n’en a pas fini avec les malheurs imputables au vaccin : « Douze ans après la commercialisation du Gardasil, il est prouvé que le nombre de cancers du col de l’utérus a augmenté chez les populations vaccinées », « les chiffres explosent ». La couverture de l’ouvrage qui semble tenir de référence, Hystérie vaccinale de Nicole et Gérard Delépine [5], s’affiche à l’écran, suivie d’un extrait : « Même phénomène paradoxal du Gardasil en Suède, en Norvège, aux USA : le taux de cancer augmente chez les vaccinées ». Quoi de mieux pour suggérer que le vaccin pourrait favoriser le cancer du col utérin ! Si un rapport de 2006, relatif à une étude clinique menée aux USA, suggère que le Gardasil pourrait augmenter le risque d'avoir des lésions précancéreuses, il est bien précisé que cela ne concernait que les femmes déjà infectées au moment de la vaccination et qui étaient prédisposées à avoir une lésion du col [6]. Et puis comment comprendre, si la situation était telle, qu’en 2018 l'Australie déclare espérer éradiquer, grâce au vaccin, le cancer du col de l'utérus d'ici à 2028 [7] ? On peut suspecter l’alarmisme des Delépine d’un manque certain d’objectivité [8] et s’étonner qu’aucune autre source d’information ne soit évoquée.
Un petit tour du côté de la science officielle, en compagnie de Camille Locht, qui dirige une équipe à l'Institut Pasteur de Lille, ne sert nullement d’occasion pour apporter la contradiction. Le chercheur, que l’animateur titille un peu sur le seuil de risque et le concept de coût-bénéfice, affirme tout de même que la vaccination est « le progrès le plus spectaculaire du 20e siècle », car elle « a permis non seulement de diminuer fortement toute une série de maladies, mais carrément d’éliminer des maladies de notre planète ». Nous voilà donc regonflés à bloc ! Cela ne va pas durer longtemps puisqu’il est question dans la séquence suivante de l’aluminium, « accusé de tous les maux depuis des années : sclérose en plaques, autisme ou encore myofasciite à macrophages… ». La responsabilité de l’adjuvant dans cette dernière maladie est évoquée au travers du témoignage de Monique, « une victime de l’aluminium », appuyé par les propos de Romain Gherardi, chef du service d’histologie au CHU Henri Mondor à Créteil. Celui-ci explique comment les particules d’aluminium – dont on connaît la « grande toxicité » - s’accumulent dans le cerveau. Malheureusement, la recherche des effets pathologiques de l’aluminium « ne bénéficie d’aucun financement public de la part de l’État ». Pour conforter la suspicion, arrive un entretien avec Didier Lambert, président de l’Association E3M, également atteint d’une myofasciite à macrophages, pour qui les vaccins sont passés du statut de « produit de santé » à celui de « produit commercial ». Selon lui, il existerait « un adjuvant [le phosphate de calcium] qui peut le remplacer, qui lui est sûr, efficace, qui n’est pas dangereux parce que c’est un composant naturel de l’organisme ». Et de conclure : « si l’affaire n’est pas étouffée… je pense que ce sera le plus gros scandale dans les années à venir dans le monde entier. Ce sont des millions de personnes qui sont concernées ». Quel contraste avec l’optimisme du chercheur de l'Institut Pasteur ! Nous revoilà plongés du « côté obscur de la force ».
L’accusation portée contre l’aluminium trouve un prolongement dans la séquence suivante. Nous sommes dans la Maison de l’Enfance de Marcq-en-Barœul, une crèche qui « accueille 45 enfants », et où l’obligation vaccinale de 2018 n’a « pas posé de problème » selon sa directrice. L’animateur finit par tenter de déstabiliser la pédiatre de l’établissement : « Y a-t-il un côté prise de risque pour les parents avec justement ces problèmes liés à l’aluminium notamment… de faire le pari je vaccine mon enfant mais peut-être que, plus tard, il pourra contracter une pathologie ? ».
C’est plutôt le pari inverse que font les opposants déclarés à la vaccination. Par exemple à Nîmes où « la chef de file de la fronde anti-vaccin en France », Sophie Guillot [9], reçoit l’animateur à son domicile. Positivement qualifiée de « lanceuse d’alerte », la porte-parole du collectif Ensemble pour une vaccination libre exhibe avec satisfaction les faux certificats vaccinaux qu’elle a, selon elle, facilement obtenus pour ses trois enfants, allant jusqu’à affirmer qu’avec l’obligation vaccinale « on conduit les parents à faire ça ». C’est ensuite à Marseille que nous faisons la connaissance de Guillaume Ageorges, le secrétaire national du REVAV (Réseau des Victimes d’accidents vaccinaux), qui « dénonce aujourd’hui l’absence de pharmacovigilance et le défaut d’information du public en matière de vaccin ». Selon lui, « des études étrangères montrent que des personnes qui sont non vaccinées sont en meilleure santé que les personnes vaccinées ». Rien de moins que cela !
Défaut d’information du public en matière de vaccin ? Il est temps de faire un tour par le ministère des Solidarités et de la Santé, pour laisser le professeur Jérôme Salomon, Directeur Général de la Santé, expliquer le bien fondé du passage de trois à onze vaccins obligatoires depuis janvier 2018. L’entretien est tout de même entrecoupé d’une séquence remémorant le « fiasco » de la gestion des doses de vaccins H1N1 en 2009.
Il faudra attendre la fin de l’émission pour que soit exposée, enfin, la dangerosité des maladies infectieuses. D’abord au travers du calvaire d’une femme, atteinte de la rougeole durant sa grossesse. Ensuite avec un reportage dans un sanatorium situé dans le département de l’Essonne. L’occasion de s’entretenir du problème toujours actuel de la tuberculose avec la responsable du Pôle maladies infectieuses de l’établissement et d’évoquer une dernière fois le rôle de la balance bénéfices-risques dans la prise de décision vaccinale.
La phrase de conclusion de Charles-Henry Boudet est, à l’image de l’émission, ambivalente : « S’ils ne font pas toujours l’unanimité, car ils peuvent créer des pathologies graves, les vaccins restent un trésor, ils permettent de sauver des millions de vie chaque année. ». On peut légitimement se demander si les « champions du monde de la défiance envers les vaccins » sortiront convaincus des bienfaits de ceux-ci. Que conclure en effet de cette alternance d’entretiens et témoignages, où tous les points de vue, certains contradictoires, semblent se valoir et où certaines affirmations aisément critiquables sont exposées sans aucun recul ? Loin de fournir un éclairage impartial sur la vaccination, objet de tant de controverses en dépit du consensus scientifique et médical en sa faveur, cette émission devrait plutôt conforter les indécis dans leurs réticences.
Peu de choses en commun avec « Vaccins : les rumeurs ne meurent jamais », un des épisodes de La fabrique du mensonge, la série documentaire de France 5 consacrée aux fake news [10]. Diffusé quelques jours auparavant, il s’emploie à démonter la fausse information, née en 1998 et toujours tenace vingt ans plus tard, selon laquelle le vaccin rougeole-oreillon-rubéole (ROR) pourrait causer l'autisme. Un travail d’investigation dont la qualité tranche quelque peu avec celle de l’émission précédente. Dans la famille France Télévisions, c’est indubitablement France 5 qui, sur le sujet des vaccins, a mérité un bon point.
Christophe de la Roche Saint André
Chercheur CNRS
Président AFIS13 – Marseille & Provence
[1] disponible en replay jusqu'au 10.05.19 : https://www.france.tv/france-3/reseau-d-enquetes/944215-vaccin-un-tresor-conteste.html
[2] https://www.who.int/emergencies/ten-threats-to-global-health-in-2019 (cette page n'est plus disponible)
[3] http://www.academie-medecine.fr/a-propos-deventuels-effets-indesirables-graves-de-la-vaccination-anti-papillomavirus-humains-en-france/
[4] https://www.who.int/vaccine_safety/committee/topics/hpv/June_2017/fr/ (cette page n'est plus disponible)
[5] http://www.fauves-editions.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=111 (la référence à cet ouvrage n'existe plus)
[6] http://archive.wikiwix.com/cache/?url=http%3AFFwww.fda.govFohrmsFdocketsFacF06FbriefingF2006-4222B3.pdf
[7] https://www.lequotidiendumedecin.fr/actualites/article/2018/10/10/cancer-du-col-de-luterus-bientot-une-maladie-rare-en-australie-selon-des-estimations_861612
[8] https://www.psiram.com/fr/index.php/Nicole_Del%C3%A9pine
[9] https://www.psiram.com/fr/index.php/Sophie_Guillot
[10] https://www.francetvinfo.fr/sante/vaccins/replay-vaccins-les-rumeurs-ne-meurent-jamais-regardez-la-fabrique-du-mensonge-la-serie-documentaire-sur-les-fake-news_3255819.html
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