La publicité qui en est faite, ou comparaison n’est pas raison.
Vous avez peut-être lu dans La Provence du lundi 3 août 2015 un article sur la radioactivité mesurée par la CRIIRAD (Commission de Recherche et d'Information Indépendantes sur la Radioactivité) dans le parc du Mercantour. Le titre fait la une du journal : " Une radioactivité 100 fois supérieure à la normale détectée dans les Alpes - Tchernobyl son fantôme rôde encore - Les experts de la CRIIRAD ont effectué des prélèvements début juillet: 29 ans après la catastrophe et son fameux nuage, certains sols du Mercantour restent radioactifs". Puis en page intérieure, on lit: "Dans les Alpes, certains sols sont des déchets radioactifs! 29 ans après le drame de Tchernobyl, on mesure par endroits une radioactivité 100 fois supérieure au niveau naturel ". Cette information a également été reprise dans les journaux de France 3 Provence-Alpes du mardi 4 août au travers d’une interview du représentant de la CRIIRAD ayant effectué ces mesures.
Alors faut-il s’inquiéter lorsque la CRIIRAD explique que cette radioactivité mériterait qu’on traite le sol incriminé comme un « déchet nucléaire ». Peut-on encore se balader en montagne sans crainte ou faudrait-il se munir d’un compteur Geiger avant de s’engager dans une telle aventure ?
L’IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire), organisme indépendant lui aussi, faut-il le rappeler, a jugé nécessaire de faire le point dans une Note d’information sur les « points chauds» de contamination en césium 137 de certains sols de moyenne et haute montagne du massif alpin datée du 6 août 2015.(cf. site internet de l’IRSN).
Nous la reprenons in extenso en la complétant par quelques réflexions que nous jugeons utiles pour bien cerner les problèmes posés par ces mesures.
« C’est en 1988, lors d’une étude menée par l’IPSN (Institut de protection et de sûreté nucléaire) sur les retombées de l’accident de Tchernobyl dans le haut-Var, qu’ont été pour la première fois décelées ce que l’on a ensuite appelé les « taches de contamination » ou les « points chauds » de césium 137 du Mercantour. Dans deux rapports de 1988 et 1989, et dans diverses présentations scientifiques, l’auteur indiquait la présence d’activités de césium 137 de plusieurs centaines de milliers de Bq/kg de sol (jusqu’à 314 000 Bq/kg) sur de petites surfaces (quelques décimètres carrés, soit la taille d’une feuille de papier format A4) disséminées dans des prairies d’alpage (au-dessus de 2000 mètres), et quelquefois regroupées sur des zones de quelques dizaines de mètres carrés. En 1996, l’un de ces rapports a fait l’objet d’une réédition et d’une large diffusion par l’IPSN. Suite à des mesures effectuées par la CRIIRAD et à un écho médiatique important (avec des conséquences sur la fréquentation du Parc National du Mercantour), le ministre de la Santé (M. Kouchner), les Directeurs du Parc du Mercantour et de l’IPSN, ainsi que des représentants de l’Autorité de sûreté nucléaire, de la CRIIRAD et de diverses associations, se sont retrouvés sur le terrain pour constater la réalité de ces points chauds. La question de la gestion de ces taches de contamination en amenait d’autres : comment se sont-elles formées ? Y en a-t-il ailleurs ? Quelles sont les expositions potentielles du public qui en résultent ?
Les travaux menés par l’IPSN, puis l’IRSN, entre 1999 et 2002 ont montré que ces points chauds sont liés à des dépôts radioactifs consécutifs à l’accident de Tchernobyl, qui se sont produits sous forme neigeuse à cette altitude, au cours de la première semaine de mai 1986, période durant laquelle les masses d’air contaminé ont survolé le territoire. La neige, soufflée par le vent, s’est accumulée en certains endroits entrainant une forte hétérogénéité des dépôts de césium. Tassées, ces épaisseurs de neige se sont transformées en plaques de glace (névés) au printemps 1987 par alternance gel-dégel. La fonte de ces névés a alors entrainé une reconcentration, sur de toutes petites surfaces, du césium déposé, plusieurs de ces points pouvant se trouver regroupés au sein d’un ensemble plus vaste occupé par le névé. Ces phénomènes s’étant produits partout dans les Alpes en altitude, de tels « points chauds » existent sur toutes les zones de montagnes où de la neige est tombée au début de mai 1986. Elles ne sont donc pas particulières au Mercantour, ni aux Alpes françaises. Les espaces de moyenne à haute montagne où des points-chauds ont été observés ne sont pas habités et leur fréquentation se limite à des randonneurs susceptibles de faire une halte de quelques heures à proximité d’une de ces taches de contamination. Des troupeaux d’alpages sont également susceptibles de brouter l’herbe plus contaminée qui y pousse. Enfin, il est possible d’y trouver un ou deux champignons présentant des activités de césium 137 élevées. »
L’article de La Provence, sous le sous-titre « 100 000Bq/kg » explique qu’ « à 1 m du sol, sur des centaines de mètres carrés (…) le niveau de radiation est toujours plus de deux fois supérieur à la normale. (…) La radioactivité de certains échantillons qu’il a prélevés sur place(…) dépasse ainsi les 100 000Bq/kg. On peut mesurer des niveaux comparables à ceux que l’on trouve dans la « zone interdite », le périmètre de 30km qui entoure désormais la centrale de Tchernobyl. Sauf que là, on se trouve à quelques km de la zone touristique. Le risque n’est toutefois pas le même, car les zones alpines restent très localisées, à la différence de la forêt ukrainienne ».
Ouf, encore un peu et on aurait pu croire que le Mercantour est aussi dangereux que Tchernobyl !
Si on n’y prend garde, et pour le lecteur qui n’est pas spécialiste de la radioactivité, le fait de mettre dans le même paragraphe des activités de 100 000Bq/kg, des surfaces de centaines de mètres carrés et une comparaison avec Tchernobyl est pour le moins inquiétant. Et effectivement cela pourrait l’être si cette activité était généralisée à de grandes surfaces. Donc arrêtons-nous un instant sur ces premières données qui concernent les activités mesurées par la CRIIRAD.
Ces points chauds, en réalité ne représentent que la surface de quelques feuilles de papier A4 dispersées ici ou là, comme l’explique l’IRSN, et non des centaines de mètres carrés d’un seul tenant. En terme sanitaire cette activité n’a en fait aucun sens, car ce qui importe c’est le débit de dose (mesuré en Gray ou Sievert par unité de temps) que reçoit un individu (1). Sachez, chers citoyens, à titre d’information que chaque individu est radioactif et ça se mesure également : 8000Bq par tête environ ! Ainsi quand vous dormez à côté de votre compagnon ou compagne (le sexe n’y change rien) vous dormez à côté d’une source radioactive, et généralement pendant des heures, des mois et des années !!!
Un mètre cube d’eau de mer a une activité de 10 000Bq ! Quand on se baigne serait-on également en danger d’irradiation ?
Ces chiffres n’ont donc aucune signification en soi. Il en va de même pour ces « échantillons » à 100.000Bq et même bien plus, car entre une activité radioactive (le nombre de désintégrations atomiques par seconde) et un effet sur l’organisme il y a bien des étapes à franchir qui font intervenir de bien trop nombreux paramètres pour qu’ils fassent ici l’objet d’un exposé détaillé.
Ce chiffre n’a qu’une importance toute relative et ne doit pas être mis en exergue sans mille précautions oratoires ce que malheureusement certains journalistes, aguichés par des rapports alarmistes, ne font pas.
Reprenons la note de l’IRSN :
« Dans ces espaces de moyenne montagne, en raison du rayonnement cosmique accru par l’altitude, le rayonnement dans l’air (débit de dose) à un mètre au-dessus du sol mesuré par l’IRSN, est de l’ordre de 150 nSv/h contre 70 à 80 nSv/h en région parisienne. Au-dessus d’un de ces « points chauds », il peut atteindre 250 nSv/h en raison du césium 137 (débit de dose ajouté de l’ordre de 100 nSv/h) ; la CRIIRAD dit que le rayonnement naturel est ainsi doublé. La contribution du rayonnement du césium 137 augmente lorsque l’on se situe au contact du sol, avec un débit de dose qui peut atteindre quelques milliers de nSv/h (soit quelques µSv/h). Le scénario d’exposition externe le plus pénalisant est donc celui d’un randonneur qui resterait couché quelques heures sur un de ces points : une dizaine de µSv pour 2 heures d’exposition.
L’IRSN a également montré que si une vache ou une brebis consommait, au cours de la même journée, de l’herbe provenant d’un de ces points, l’augmentation de l’activité maximale du lait qui en résulterait (de l’ordre de 80 Bq/L) serait extrêmement fugace et n’aurait pas de répercussion sur l’ensemble du lait du troupeau. Compte tenu de leur petite surface, il n’a jamais été possible de cueillir suffisamment de champignons provenant exclusivement de ces « points chauds » pour effectuer de mesure.
Aussi la contamination maximale mesurée par l’IPSN dans les champignons a été de 1 165 Bq/kg frais, très en dessous de la valeur maximale théorique susceptible d’être atteinte. L’exposition correspondant au cas très hypothétique d’une personne qui trouverait sur ces surfaces exigües suffisamment de champignons pour en consommer tout un plat, a été estimée par calcul entre 10 et 100 µSv. L’IRSN effectue un suivi périodique des niveaux de contamination issus de retombées de l’accident de Tchernobyl et notamment de ces zones de montagne en effectuant des mesures sur des sols, des végétaux et des denrées (champignons, baies, gibier, lait).
Les résultats acquis dans le cadre du constat régional sur les zones de rémanence des retombées des essais d’armes nucléaires et de l’accident de Tchernobyl en cours de réalisation (2013-2015) pourront être ainsi comparés à ceux des campagnes menées régulièrement par l’Institut depuis la fin des années 1990 et celles plus anciennes datant de 1988-89. »
On passe maintenant aux choses plus significatives en termes de santé à savoir les effets de l’irradiation sur le corps humain. Essayons de donner quelques éclaircissements à cette accumulation de chiffres qui pourrait désarçonner le commun des mortels.
En premier lieu il faut comprendre la démarche intellectuelle qui est sous-jacente à ces explications :
L’IRSN examine les deux cas de figure suivants : une irradiation liée à la présence de Césium 137 (radioactif avec une demi-vie de 30 ans) et une ingestion de produits qui pourraient contenir ce césium (lait ou champignons issus de ces zones). En effet l’activité dont il est question (les 100 000Bq / Kg dans quelques points chauds) peut se traduire en terme d’irradiation externe d’une part (lorsqu’on marche ou qu’on se couche dessus) et d’irradiation interne si on devait ingérer ce Césium d’une manière ou d’une autre.
Pour ce qui est de l’irradiation externe, l’article explique : « le fait de bivouaquer 2h sur certaines de ces zones induit une exposition non négligeable avec un débit de dose de 5 µ Sv/h au contact du sol. » Donc pour deux heures on retrouve les 10µSv évoqués par l’IRSN (qui d’ailleurs ne remet pas en cause les chiffres fournis par la CRIIRAD). Est-ce vraiment « non négligeable » ?
Pour relativiser ces chiffres voici quelques éléments de comparaison :
En réalité, si l’on se réfère à des sources sérieuses, par exemple à la publication "Santé Radioactivité et rayonnements ionisants -édition 2004" issue de la collaboration entre d'éminents spécialistes de ces problématiques (Académie de Médecine, de Pharmacie, de Radiologie, etc...), il n'y a pas de toxicité démontrée en dessous d'un seuil de 100 000µ Sv (soit 100mSv). On commence à « voir » quelque chose au-delà de 2 à 3 fois cette dose. On est donc dans un rapport de 10000 (voire 30 000) avec des doses pouvant poser problème et il n'y a donc, en aucune manière, lieu de s'inquiéter et surtout d'inquiéter la population.
Finalement, pour ce qui est de l’irradiation interne par ingestion, notons tout d’abord que l’article de la Provence et le document de France 3 n’en parlent pas, et pour cause.
En effet, l’IRSN montre que ce cas de figure très hypothétique n’engendrerait quasiment aucun effet sur l’organisme (10 à 100 µ Sv dans le cas d’un plat complet de champignons …. qu’on ne trouve pas dans ces parages).
Lorsque la CRIIRAD, relayée par des journalistes en mal de buzz affirme que l’on mesure par endroits une radioactivité 100 fois supérieure au niveau naturel, nous pouvons aussi rétorquer que les niveaux d’exposition sont pour autant 10 000 fois plus faibles que ceux considérés comme pouvant poser problème par les médecins et les scientifiques. Mais faire un titre en disant « nous avons mesuré des débits de dose 10000 fois trop faibles pour être dangereux » n’aurait probablement pas le même succès médiatique ! Alors que penser de cette alerte du CRIIRAD ?
En réfléchissant un peu, chacun pourra trouver quelques raisons.
BUFI Georges
Ingénieur-Membre de l’AFIS.
(1) Nota sur les unités employées :
L’activité est exprimée en Bequerels et mesure le nombre de désintégrations atomiques par seconde.
L’effet de l’irradiation sur le corps est exprimé en Sievert (on parle de dose efficace dans ce cas) et ses sous-unités (mSv , µ Sv, nSv) avec , attention, un facteur de 1000 à chaque fois. Le débit de dose est la dose par unité de temps et là encore attention aux unités car on peut parler de mSv par heure ou par an ce qui, évidement, n’est pas du tout pareil.
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